Troisième note. / Debussy - Le clair de Lune
Les draps étaient rouge ce soir là. Un rouge sombre, envoûtant, décoré par quelques motifs d'un orange chaud. Le piano résonnait dans la pièce d'à côté, ou peut-être dans celle-ci, Je ne me souviens plus. Le morceau était vif et mélancolique à la fois, les notes volaient, couraient, se couchaient sur un thème printamnier, dont le ton était pourtant affreusement triste. Je n'ai jamais compris comment le compositeur avait su peindre le printemps dans une si profonde douleur, mais j'avais toujours considéré ce morceau comme l'un des plus beaux.
Elle était couchée, à moitié enveloppée dans le tissu vermeil, à moitié frissonnante dans la fraîcheur de la nuit qui la bercait à travers la fenêtre ouverte. J'étais assis là, à la regarder, à la contempler, le regard perdu dans l'infinie beauté de la scène. Je n'étais ni photographe ni peintre, à peine savais-je écrire, le tableau resterait donc à jamais accroché au mur de mes souvenirs, seul, unique, trônant parmi ceux-ci comme une perle dans l'océan. Car, vous savez, quoiqu'on en dise, sur une vie les souvenirs sont nombreux, mais plus rares et plus précieux sont les souvenirs dont la marque dessinera toujours un sourire quelque part en vous.
Cette nuit était pourtant l'un de ceux-là. Nous avions fait l'amour longuement, tendrement, caressant avec passion le goût de l'osmose. Rien ne sous séparait plus, rien n'aurait pu nous séparer, et l'ardeur et l'amour se partagaient ensemble les longues heures de la nuit. Puis nous avions parlé, longuement encore, comme nous aimions le faire. Livrant, après les offrandes du corps, celles plus belles et plus chères encore, qui se rapportent à l'âme.
Elle savait tout de moi, je savais tout d'elle, et nous étions heureux, complets, apaisés.
Puis le piano s'est tu, la mélodie se perdant lentement dans le silence profond, laissant voler ses dernières notes jusqu'à ce qu'elles se taisent à leur tour. Les frissons sur sa peau se sont éteints en même temps que son coeur. Doucement.
La dernière note, longue, appuyée, a accompagné un long et heureux soupir, et sur ses lèvres, on pouvait lire la paix rayonnante de l'accomplissement.
Puis l'aube est venue. Les premiers rayons de l'aurore chassant les ombres de mon rêve. J'entends sa respiration à mon oreille, elle ne tardera pas à se réveiller elle aussi. Mais...
pourquoi les draps sont-ils blancs...?