Quatrième note. / Jeff Buckley - Corpus Christi Carol
J'ai essayé de retarder l'instant. Longtemps. Longtemps, j'ai cherché, en vain, à oublier ce qui, indubitablement, allait arriver. Tôt ou tard, je devais m'y résoudre. Pas encore, pas tout de suite.
Je me suis soûlé de bruit, de musique et de danse. J'ai pénétré la nuit dans un vacarme effroyable, un concerto diabolique à nul autre pareil. J'ai affronté la lune dans un solo de guitare, j'ai tutoyé les étoiles en m'écorchant la voix. Les chants mélancoliques m'ont transpercé le coeur et crevé les tympans. Osant tout pour ne rien recevoir, tentant, sans espoir, de me battre contre le vide. J'ai lancé, avec toute ma force, les plus belles mélodies à la face du monde, noir et désert devant moi, espèrant sans doute une réponse, un signe de compassion, mais rien n'est venu. J'étais seul et je devais le rester jusqu'à la fin. Buckley, Isaak, et Zeppeling chantaient, pour essayer de retarder l'instant, le moment où je devais en finir. Mais il est venu.
Je me suis couvert les yeux de mille images d'argent, j'ai rassemblé les lumières du ciel pour les placer dans mes yeux, elles innondaient mon coeur d'une ardente folie. J'ai cherché au fond de ma mémoire les fenêtres sur mon coeur. Mon passé où la gloire ne se résumait qu'à un sourire. J'ai trouvé des bonheurs que j'avais enfoui, trop loin, sans raison, aux bornes de mes souvenirs. Dans un éblouissement fébrile, j'ai tâté à nouveau les limites de ma foi, croyant perdre celle-ci dans mes plus profonds malheurs. Et les larmes coulaient entre mes lèvres écartées, donnant à mon sourire un goût de sel amer. Mes yeux n'étaient plus qu'un immense écran scintillant, luttant contre les ténèbres du combat à venir, la lutte finale. Et elle est venue.
J'ai cherché du bout des doigts les lèvres de celle qui m'avait volé mon coeur, j'ai marché, aveugle, vers une mer où je n'apercevais plus que l'horizon. J'ai levé la tête en cherchant l'odeur du parfum de ma mère, me dressant pour la retrouver, elle et sa tendre chaleur, dans les embruns glacés, au détour d'une ruelle sombre ou dans un café bruyant. J'ai cru caresser, l'espace de quelques secondes, le bois de mon tout premier banc d'école, j'ai rêvé redessiner les courbes d'un corps perdu, au coeur d'une rupture, ou à la rupture d'un coeur. J'ai voulu, en me tournant le dos, essayer de fuir ce qui, tout le monde me l'avait juré, devait arriver. Et... cela est arrivé.
Malgré mes craintes et contre mon gré. Un beau jour de mai, j'ai du redresser la tête. Je ne devais plus être lâche, il m'appartenait de défendre ce pour quoi je vivais. Car c'était ce jour là que cela allait finir. La date était assez simple, elle était celle de ma naissance.
Ce matin là, je venais d'avoir 18 ans.